Comme tous
ses semblables, le drame collectif dans lequel on patauge a ses particularités
qu’on perçoit mieux avec le temps.
En voici
une qui me frappe : cette pandémie fait des milliers de victimes, mais
elle ne me donne pas l’impression de vivre dans un monde ravagé par le deuil et
tout ce qu’il implique : l’incompréhension, la révolte, l’accablement.
La COVID-19
a changé nos vies, mais, elle n’a pas changé nos morts; c’est-à-dire qu’elle ne
crée pas un «nouvel ordre» des morts. Dans l’immense majorité des cas,
ceux qui meurent sont ceux à qui c’était le tour de mourir.
Rien à voir
avec la Seconde Guerre Mondiale, par exemple, qui a emporté des milliers de
fils qui n’avaient pas encore trente ans, et plongé deux fois plus de parents
dans l’incompréhension, la révolte et l’accablement.
Un enfant
qui perd ses parents, on appelle ça un orphelin; et bien sûr, presque tout le
monde finit par devenir orphelin.
Des parents
qui perdent son enfant, on n’a pas de mot pour ça. C’est littéralement une
réalité innommable; un renversement tellement contre-nature qu’on lui refuse la
dignité d’un nom.
Pendant la
Seconde Mondiale, des milliers de familles ont été frappées par cette réalité
innommable. Même chose, à plus petite échelle, avec le 11 septembre ou Polytechnique.
Et à ces fois-là, on a vécu un vrai deuil collectif.