Comme scénariste, mon travail c’est de raconter des histoires. Alors je médite souvent sur trois questions: c’est quoi une histoire, à quoi ça sert et comment on fait pour en écrire une bonne?
À NPR, la radio publique américaine, il y a une émission d’affaires publiques qui s’intitule justement The Story. Ce titre-là n’est pas insignifiant. Il oriente toute la démarche journalistique de l’émission. Quand l’animateur reçoit quelqu’un en entrevue, il ne pose pas des questions de façon désordonnée, à la Christiane Charrette. Si l’invité est là pour raconter sa vie, il commence par lui demander où il est né et quel genre d’enfance il a eu, puis poursuit de façon chronologique. Si l’invité est là pour raconter un événement qu’il a vécu, encore là l’animateur pose ses questions de manière à ce que l’entrevue se déroule comme un récit.
The Story fait aussi des reportages en utilisant la même approche. L’autre jour, j’ai vraiment été fasciné par ce reportage, qui porte sur les «stents» – des tubes de métal qu’on met dans les artères pour les garder ouvertes.
C’est une histoire dans le sens où le reportage raconte une séquence d’événements : il y a quelques années, un scientifique a publié une étude démontrant que les patients à qui on greffait ces tiges ne se portaient pas tellement mieux que ceux qu’on traitait uniquement avec des médicaments.
Que s’est-il passé ensuite? Aux États-Unis, le recours à cette technique a diminué de façon significative… pour une brève période. Ensuite, les chiffres se sont mis à remonter jusqu’à revenir à leur niveau antérieur et même le dépasser.
Pourquoi? Parce qu’il y a des chirurgiens qui font juste dans la vie et qui n’ont pas envie de ralentir le rythme parce qu’ils sont payés à l'acte. Parce qu’il y a des patients qui ne veulent pas prendre de chance ou qui préfèrent subir cette opération plutôt que se discipliner à prendre leurs médicaments et à faire de l’exercice. Parce que personne dans le «système» n’a intérêt à limiter le recours à cette procédure très coûteuse. Parce que si on peut sauver une vie de plus…
Aucun doute: c’est une petite histoire qui en dit très long. Depuis que je l’ai entendu, j’ai la conviction de mieux comprendre pourquoi les dépenses en santé explosent dans tous les pays du monde et pourquoi c’est si difficile de les contrôler. Grâce à cette histoire, je me sens moins niaiseux. J’ai l’impression de mieux voir le problème et comment on pourrait le résoudre. Là où je voyais un «problème de système», je vois maintenant des êtres humains qui se comportent comme des êtres humains.
Je pense que c’est ça une bonne histoire: un cas particulier avec une résonance universelle. Une manifestation concrète d’une abstraction difficile à saisir autrement. C’est cette marchandise-là qu’il faut livrer quand on veut raconter une bonne histoire.
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